Situation des ménages et pratiques des algériens durant le ramadhan


Le ramadhan : la mise à l’épreuve…financière

Le portefeuille des ménages est fortement sollicité durant le ramadhan. Non seulement pour une alimentation beaucoup plus riche et plus variée que d’habitude, mais aussi pour des activités qui peuvent être tout aussi dispendieuses. De leur côté, les commerçants redoublent de férocité, soutenus par des estomacs affamés qui succombent à toute sollicitation et qui poussent aux achats compulsifs. Les ménages essaient quand même d’honorer la tradition même s’ils sont déjà fortement impactés par la crise sanitaire, les dépenses pour l’Aid et les incertitudes d’une crise économique qui ne dit pas son nom. Comment y arrivent-ils ?

Un nombre non négligeable n’y arrive tout simplement pas. Ceux qui n’ont pas de revenus, ceux qui vivent des aides sociales, les petites pensions et retraites. Ceux-là doivent compter sur la solidarité de la famille, du voisinage, des âmes charitables de manière générale. Plus de 10% des ménages (près de 1 million, soit environ 5 millions de personnes), ont un revenu par tête qui ne dépasse pas 2500 DA nets par mois. 23% sont un peu mieux lotis entre 2500 et 5000 DA. 35% commencent à être un peu plus à l’aise entre 5000 DA et 10.000 DA. 47% entre 5000 et 15000 DA. Concrètement, 5000 DA/tête par mois sont épuisés avec un repas de 166 DA chaque jour. 15000 DA, par un repas de 500 DA/jour.

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A chaque ramadhan, le film se répète : les ménages sont pris de vitesse par l’augmentation des prix et leurs anticipations se révèlent en deçà de la réalité : plus de la moitié des chefs de ménage ou leur conjoint dit que ses dépenses durant ce ramadhan sont supérieures à ce qu’elle avait prévu. Une composante majoritaire de cette moitié dit même que ces dépenses ont été beaucoup plus importantes que prévu. Les ménages qui disent que les dépenses sont comme ils avaient prévu sont-ils plus rationnels ? Un bon tiers dit en effet qu’elles correspondent à ce qu’ils avaient prévu. Peut-être sont-ce des ménages échaudés qui ont intégré le comportement des commerçants et l’impact du covid. Nous trouvons même une partie des chefs de ménage qui dit que les dépenses ont été moindres que prévues.

Une bonne moitié des chefs de ménage dit que son revenu mensuel ne lui suffit pas pour couvrir les dépenses du ramadhan. Cette proportion ne change pas beaucoup même quand les revenus par tête sont assez élevés. Elle reste à 52,5% même quand le revenu mensuel par tête se situe entre 15000 et 20000 DA. Ce n’est que quand il devient supérieur à 20.000 DA que cette proportion baisse très fortement pour arriver à 18%.

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Afin de financer ce gap entre consommation et revenus, certains ménages restreignent simplement leur consommation et n’utilisent pas d’autres sources de financement (22% de ceux qui affirment que leurs dépenses sont supérieures à leurs revenus). Mais la source de financement la plus importante est l’endettement. Auprès d’amis, de la famille ou des commerçants. Ils sont près de 40% des ménages qui ne couvrent pas leurs dépenses avec leurs revenus à y avoir recours. Quand on rassemble ceux qui s’endettent seulement et ceux qui ont recours concomitamment à l’utilisation de l’épargne et à l’endettement, la proportion dépasse 50%. Le recours à la seule épargne est relativement réduit : un peu moins de 20% de ceux qui ne couvrent pas leurs dépenses avec leurs revenus. Cela se comprend bien dans la mesure où quand un ménage a une épargne pour financer ses « trous » passagers, il ne se considère pas vraiment en difficulté. C’est précisément le rôle de l’épargne.

Un pourcentage non négligeable des ménages bénéficie d’aides de diverses origines, sans que cela ne soit bien entendu leur seule source de « revenu ». Parmi les ménages qui ne couvrent pas leurs dépenses avec leur revenu, Ils sont près de 15% qui couvrent le gap avec les seules aides. Cette proportion est forte évidemment parmi les ménages qui ont les revenus par tête les plus faibles : 32% des moins de 2500 DA/tête/mois. Elle reste non négligeable (6% quand même), même à des revenus/tête qui se situent dans la tranche 7000-10000 DA. La proportion devient nulle ensuite.

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Lorsque la personne interrogée n’était pas le chef de ménage ou son conjoint, nous ne l’avons pas interrogée sur les revenus et dépenses de son ménage parce-qu’il y a de fortes chances pour qu’elle n’ait pas une information complète sur ce sujet. Nous avons, par contre, interrogé ces personnes sur leurs propres finances.

Il faut savoir d’abord que ce ne sont pas tous les algériens de 18 ans et plus non chefs de ménage ou conjoints de chef de ménage qui ont un revenu. Sur les 9,7 millions d’algériens de 18 ans et plus qui ne sont pas chef de ménage ou conjoint de chef de ménage, seuls 4 millions environ déclarent qu’ils travaillent. Les autres sont étudiants, lycéens, ou élèves de la formation professionnelle (2,1 millions), femmes au foyer (2,2 millions), chômeurs (1,2 millions), ou dans des groupes à effectifs beaucoup moins importants (0,2 million de personnes qui sont au service national, handicapés ou retraités). Dans ces différentes catégories, la proportion des personnes qui a un revenu est très variable. Mais dans toutes les situations, hormis celle des étudiants, la proportion des personnes qui contribuent aux dépenses du ménage parmi celles qui ont un revenu est très élevée.

Pour ceux qui participent aux dépenses du ménage, la majorité participe plus en ce mois de ramadhan, confirmant en cela, le surcroit de dépenses en ce mois, comme on l’a vu avec les chefs de ménage ou leur conjoint. Et pour la majorité des personnes auxquelles on demande de participer plus, c’est dans la majorité des cas « beaucoup plus », que « seulement un peu ».

A côté de la participation aux dépenses du ménage, ces personnes financent aussi des besoins personnels. La manière dont ces dépenses ont évolué durant le ramadhan ne montre pas de tendance claire. Ceci s’explique par le fait que la composition de ces dépenses n’est pas dominée par l’alimentaire.

Pour une part importante, près de la moitié, de ceux qui ont des revenus et des dépenses personnelles et/ou participent aux dépenses du ménage, le revenu habituel ne suffit pas. A l’instar de ce qu’on a trouvé plus haut pour les dépenses du ménage, certains réduisent leurs dépenses. Mais la source de financement de ce gap la plus importante est l’endettement. Cet endettement n’est bien entendu pas exclusif d’autres sources de financement. Vient ensuite l’utilisation de l’épargne.


Les activités durant les veillées de ramadhan : les réseaux sociaux viennent concurrencer les veillées familiales et la télé

Les activités durant le mois de ramadhan se différencient suivant la proportion plus ou moins importante de personnes qui les pratiquent. Elles se différencient aussi suivant l’écart plus ou moins important qu’il y a entre les hommes et les femmes. Dans certains cas on peut parler d’activités féminines ou d’activités masculines, bien que dans l’absolu elles ne soient pas réservées à l’un ou l’autre genre.

Parmi les activités qui recueillent les taux les plus importants (plus de 25%), il y a la prière (93%), la télévision (51,7%), les veillées familiales (44,5%), les réseaux sociaux (40,9%, les tâches domestiques (38,8%), la mosquée (28,5%), et les sorties ou regroupements entre amis (27,1%).

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D’autres recueillent un taux beaucoup moindre mais qui est non négligeable, entre un peu moins de 10% et 25%. Il y a d’abord les discussions au téléphone (18,2%). Les réceptions d’amis ou de la famille ou les visites chez eux (respectivement 9 et 8,8%). Ces visites sont en fait complémentaires aux veillées familiales. La navigation sur le web recueille 13,5%, la lecture 12,6%. D’autres activités enfin recueillent des scores très faibles : regardé des films vidéos (3,5%), jouer à des jeux vidéos (3,6%), assister à une soirée culturelle (0,4%).

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Certaines activités, non citées explicitement à la personne interrogée, mais que cette dernière a précisé dans l’item « autres », en dehors des activités religieuses auxquelles nous consacrons un article, se révèlent relativement importantes : faire réviser les enfants, travailler, pratiquer un sport. Mais leur fréquence reste dans tous les cas inférieure à 10%.

Alors que certaines activités ne montrent pas de différences importantes entre hommes et femmes, dans d’autres le gap est extrêmement important.

Au titre de celles où la différence n’est pas importante, il y a la prière, pour laquelle nous retrouvons pratiquement les mêmes scores. Il y a aussi l’activité de passer du temps sur les réseaux sociaux. Pour d’autres le caractère masculin ou féminin apparait nettement. C’est le cas des tâches domestiques, de la fréquentation de la mosquée, ou des sorties entre amis.

Pour la plupart des autres activités, la différence au profit des femmes est importante. C’est le cas des veillées, des réceptions ou des visites, de la télévision, de la navigation sur internet, de la lecture, des discussions au téléphone. Cette différences compensent celles relatives à la fréquentation des mosquées et les sorties entre amis beaucoup plus pratiquées par les hommes.

Les différences entre hommes et femmes dans les activités réalisant de faibles scores ne sont quant à elles pas statistiquement significatives.


Les activités religieuses : tarawih, lectures du coran, dourous et halaqates : les algériens redoublent d’activité religieuse durant le ramadhan

Lorsqu’on interroge de manière directe les algériens, si, habituellement, ils font la prière, ils répondent par l’affirmative à 95%. Un élément vient modérer cette unanimité : 3,3% environ disent que c’est seulement depuis 3 mois, et pour 1,6% depuis 1 mois. Autant dire qu’il y a une forme d'opportunisme pour le mois de ramadhan. En fait, on peut se demander si la question posée en plein ramadhan ne serait pas quelque peu inductive. La pression psychologique s’exerçant sur le fidèle étant à son comble en cette période de ferveur religieuse est suffisante pour l’amener, dans certains cas, à dire qu’il fait la prière alors que ce n’est pas le cas.

A noter qu’il y a une différence significative entre hommes et femmes : le taux atteint 98% chez les femmes contre « seulement » 92% chez les hommes.

Dans une autre question, lorsqu’on parle des pratiques de la veille, en les citant, et lorsqu’on cite la prière, il y a 92% qui répondent qu’ils ont prié. Ceci confirme quelque peu le chiffre de 95%. La différence dans les réponses aux deux questions s’explique par le cas des personnes qui n’ont pas accompli la prière la veille au soir du fait qu’ils en avaient été empêchés (menstrues ou maladie par exemple). Ici, on retrouve pratiquement la même proportion chez les femmes et les chez les hommes.

Le comportement des wilayate de Tizi-ouzou, de Béjaia et de Bouira est ici très particulier puisque des proportions importantes des adultes de ces wilayate ne font pas la prière. Ces proportions augmentent de Bouira, à Béjaia et ensuite Tizi. Mais il faut noter, dans ces wilayate des différences importantes entre les hommes et les femmes. Les femmes pratiquent en effet la prière plus que les hommes. A l’extrême chez les hommes de Tizi, près de la moitié ne font pas la prière, contre « seulement » 25% des femmes qui ne la feraient pas. Mais les effectifs dans l’échantillon deviennent tout de suite trop petits pour affirmer des résultats avec suffisamment de précision ou affiner un tant soit peu l’analyse. Tenant compte d’autres différences possibles entre wilayate ou entre niveaux d’agglomération ou d’urbanisation, il conviendrait sans doute d’affiner le plan de sondage pour bien approcher le phénomène. Et sans doute aussi réaliser un tel sondage à une période plus neutre.

Quoi qu’il en soit il est clair que la proportion d’algériens pratiquant la prière est très élevée. Il convient bien entendu de s’interroger sur le sens de cette pratique et des conséquences que cela a sur de nombreux aspects de la société algérienne. La balle est dans le camp des sociologues.

11,3% des algériens adultes sont allés à la mosquée pour la prière du Maghreb la veille du jour où ils ont été interrogés. Beaucoup plus les hommes (21,1%), que les femmes bien entendu (1,3%), illustrant le fait que pour les femmes la mosquée est d’abord un espace public qu’elles ont du mal à investir, et que les tâches domestiques priment sur la pratique religieuse.

La pratique de la prière des tarawih est beaucoup plus partagée entre les hommes et les femmes, même si un écart relativement important existe là aussi : 53,6% des hommes et 37,8% des femmes. La lecture du coran, est aussi très répandue : 70% des femmes et 57% des hommes. Cette pratique semble ainsi significativement plus fréquente chez les femmes que chez les hommes, sans doute en raison du fait que pratiquée le plus souvent à la maison elle vient se substituer, pour elles, à la prière des tarawih à laquelle ne peuvent pas assister, pour différentes raisons.

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Les discussions entre amis sur des thèmes religieux sont aussi relativement fréquentes, tant chez les hommes que chez les femmes : 32% des femmes et 37% chez les hommes ont eu de telles discussion la veille du jour où ils ont répondu au sondage.

On voit donc qu’en dehors des pratiques liées à l’espace de la mosquée, les femmes se révèlent tout aussi pratiquantes que les hommes. On retrouve cette liaison à l’espace de la mosquée dans l’assistance à des dourouss ou des halaqates. Ainsi 14,5% des hommes ont assisté à un dars la veille du jour où ils ont été interrogés, contre 2,2% des femmes. 5,9% chez les hommes qui ont assisté à une halaqa contre 1,7% chez les femmes.

A l’inverse l’i’tikaf et la khalwa, peu répandus (12% globalement), mais qui peuvent être accomplies à la maison (Khalwa), semblent plus être le fait des femmes que des hommes (17,2% contre 7,2%).


Le respect du jeûne

Beaucoup plus que la prière, le jeûne constitue la pratique à laquelle tient le plus fortement le musulman. A titre d’exemple, alors que plus de 20% des algériens adulte seraient atteints d’une maladie, chronique ou non, qui les autorise à ne pas jeuner, ils sont très rares à ne pas jeûner effectivement. Seuls 2,4% ne jeuneraient pas parmi ces 20%. Ceci malgré les multiples campagnes de sensibilisation organisées à ce sujet après chaque approche du ramadhan.

Sur un autre plan, lorsqu’on expose à la personne interrogée le cas des non jeuneurs par choix et qu’on lui demande de choisir parmi les trois propositions suivantes (une seule) celle qui se rapproche le plus de son point de vue :

  • Ils sont libres de ne pas faire le jeûne
  • Ils sont condamnables mais c’est dieu qui les punira
  • La société doit les réprimer et les punir

Seule une infime minorité penche pour la première proposition (4%, presque à égalité entre les hommes et les femmes). La majorité des algériens penche pour la deuxième proposition (83%, avec 87% pour les femmes et 79% pour les hommes). Une minorité serait pour que la société réprime et punisse (10,2%) les personnes qui ne jeuneraient pas. Minorité qui comprendrait plus d’hommes que de femmes (13,3% chez les hommes contre 7,1 chez les femmes). Certaines personnes interrogées demandaient même si on ne pouvait choisir qu’une seule réponse ! Notons une petite composante, un peu moins de 3%, qui ne sait pas.

Dans un tel contexte, il était difficile de demander aux personnes (non malades), est ce que elles- mêmes jeunaient ou pas. En fait, on a posé la question mais seulement aux personnes qui étaient d’accord avec la proposition « les personnes sont libres de ne pas jeûner ». On retrouve alors, 0,2% de la population algérienne adulte qui ne jeunerait pas par choix. Mais tenant compte de sa « petitesse » cette estimation est très peu précise.

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L’analyse suivant le niveau d’instruction montre des phénomènes importants mais loin d’être massifs. On voit ainsi que la proportion des personnes acceptant la proposition « ils sont libres de ne pas faire le jeun » augmente avec le niveau d’instruction. Elle part de moins de 1% chez les analphabètes et le niveau primaire, à 8,7% chez les personnes de niveau supérieurs. Inversement la proposition ils sont condamnables, mais c’est dieu qui les punira, voit la proportion des personnes qui la partagent, baisser avec le niveau d’instruction, passant de 91% à 79%. C’est surtout la troisième proposition qui présente des résultats paradoxaux. Alors qu’elle traduit une forme d’intolérance qu’on pourrait au vu des résultats de la première proposition, voir diminuer avec le niveau d’instruction, On constate qu’elle est sensiblement égale chez les personnes du moyen, du secondaire et du supérieur (autour de11-12%), elle est la plus faible chez les analphabètes et chez les personnes de niveau primaire.